Les défis liés à la réutilisation des données observationnelles pour optimiser l’accès au marché des innovations thérapeutiques en France
Le 27 juin 2023, le premier observatoire de l’accès aux médicaments et de l’attractivité du LEEM souligne « qu’un tiers des médicaments ayant reçu une AMM européenne entre 2018 et 2021 ne sont pas disponibles pour les patients français à fin 2022 contre 13% en Allemagne ». Si l’accès précoce récemment mis en place par la HAS est de nature à réduire cet écart, il n’en demeure pas moins que plusieurs facteurs contribuent aux difficultés d’accès au marché français pour les innovations thérapeutiques. Nous pouvons citer :
– Les données du dossier d’enregistrement incomplètes et immatures sur les preuves d’efficacité et de tolérance,
– Les méthodologies d’évaluation fondées sur des approches probabilistes nécessitant de grandes populations pour assurer la qualité de la démonstration alors que la segmentation des pathologies grâce aux biomarqueurs aboutit à de petites sous-populations de patients,
– La difficulté d’apporter des données comparatives dans ces sous-populations et sous-indications en raison de l’absence de comparateurs,
– Un modèle économique existant basé sur le rapport prix/volume et l’amortissement des frais de développement tirant les prix à des niveaux extrêmement élevés compte tenu de la petite taille des populations indiquées.
Tous ces facteurs faisant peser une forte incertitude sur le rapport coût /bénéfice, il nous parait intéressant de focaliser notre réflexion sur la place des données observationnelles et des méthodes analytiques pour réduire l’incertitude issue du développement clinique. D’ailleurs, tous les pays ne mettent pas le curseur de l’appréciation de ces données au même niveau de prise en compte de l’incertitude. La mise à disposition de moyens importants (i.e. création du Health Data Hub) pour faire émerger l’usage secondaire des données de santé est susceptible de réduire l’écart observé entre différents pays européens et la France. Le récent rapport de la mission Borne aborde également de manière tangentielle cette problématique. Cependant de nombreux freins liés à la réutilisation des données observationnelles, demeurent dans la pratique en France et ne permettent pas encore d’optimiser l’accès au marché des innovations thérapeutiques. Cette note a pour objet d’apporter une analyse complémentaire sur les problèmes auxquels les industriels et les évaluateurs sont confrontés.
Les défis liés à la réutilisation des données observationnelles
Les données observationnelles sont de plus en plus utilisées dans la recherche clinique et l’accès au marché des médicaments. Les études les plus courantes permettent d’évaluer les effets comparatifs au moyen de cohortes ou d’essais avec un seul bras et groupe de contrôle externe. Plus récemment, l’accent a été mis sur l’analyse des expériences vécues par les patients lors du parcours de soins. Elles reposent également sur des études non randomisées après l’autorisation de mise sur le marché.
L’évaluation par la HAS des molécules innovantes repose aussi en partie aujourd’hui sur des données observationnelles. Ces utilisations sont importantes car elles permettent de :
La nature des données en vie réelle pose des difficultés spécifiques aux évaluateurs pour décider de l’accès au marché. Les principales questions concernent la qualité et la transparence des données ainsi que la mesure de l’incertitude. Il faut tout d’abord s’assurer de la provenance des données et vérifier qu’elles sont pertinentes et de qualité suffisante pour répondre à la question de recherche posée. L’étude observationnelle doit générer des preuves de manière transparente et avec intégrité depuis sa conception, sa conduite et l’établissement de rapport de fin d’étude. Enfin, il est important d’utiliser des méthodes analytiques qui minimisent le risque de biais et caractérisent au mieux l’incertitude sur le résultat augmentant ainsi la fiabilité des preuves résultantes.
Cependant, les données observationnelles ne permettent pas d’optimiser l’accès au marché des innovations thérapeutiques car elles posent des questions méthodologiques et opérationnelles importantes pour les industriels.
Le cadre juridique européen qui régule l’usage secondaire des données en vie réelle pose des problèmes opérationnels fréquents aux industriels. Il interdit le traitement des données personnelles liées à la santé (article 9 (1) du RGPD), sauf si le consentement éclairé de chaque personne concernée est donné (RGPD Art. 9 (2a)) ou si une exemption scientifique est présente (RGPD art. 9 (2j). Cette dernière est délivrée en France par la CNIL. L’exemption scientifique est donnée si le traitement des données est d’intérêt public, la protection des données sécurisée et l’étude justifiée par un objectif scientifique suffisant. En pratique, l’obtention d’une exemption scientifique pose des défis importants notamment de durée de traitement des dossiers. Ainsi, les deux possibilités fondées sur le RGPD pour justifier l’utilisation secondaire des données en vie réelle pour la recherche sont difficiles à mettre en œuvre. Si le traitement est légalement fondé sur l’exemption scientifique, RGPD Art. 89 impose en outre la mise en œuvre de garanties de confidentialité appropriées soutenues par des mesures techniques et organisationnelles. Il précise également que seules les données nécessaires à la recherche doivent être utilisées (principe de minimisation des données).
En pratique, il est pertinent de mieux définir les conditions pour lesquelles l’utilisation des données de santé en vie réelle est recommandée. Les contraintes méthodologiques et opérationnelles liées à l’utilisation des données observationnelles, les exigences juridiques et éthiques aboutissent en France à une surprotection des données et des retards importants dans leur accès. Afin d’y remédier, plusieurs types de mesures sont à l’étude.
1 Accélérer la création des entrepôts de données de sante (EDS) respectant le paradigme de confidentialité et les critères FAIR (Finding, Accessibilitiy, Interoperability, Reusability)
Afin de favoriser simultanément le respect des exigences éthiques et le potentiel scientifique lié à l’utilisation des données observationnelles, les EDS doivent suivre le paradigme de la confidentialité dès la conception, c’est-à-dire faire respecter la protection des données (par ex. Accès autorisé après authentification et exportation de données uniquement anonymisées) et considérer les critères FAIR comme la référence en matière d’utilisabilité scientifique des données.
La création en 2022 en France d’un réseau d’EDS hospitalier au travers d’un appel à projets respectant ces critères et couvrant une partie du territoire est une première étape dans la bonne direction. Son impact est cependant limité compte tenu du niveau d’investissement (50M) et des délais d’autorisation et pour la mise en route opérationnelle des différents projets. Cette première étape doit être considérée comme une phase pilote permettant une deuxième étape plus ambitieuse dans la stratégie de la santé numérique englobant l’activité de soin hospitalière et de ville. En effet, si on compare la stratégie de la France avec celle des pays comme l’Allemagne ou les pays nordiques dans ce domaine, nous ne pouvons que constater des retards importants dans leur mise en œuvre. Ainsi l’Allemagne met en place actuellement un référentiel d’interopérabilité des données provenant des systèmes de clinique primaire basé sur le standard HL7 FHIR (ref1).
2 Simplifier et harmoniser les procédures d’accès et d’utilisation des données observationnelles au niveau européen
La plupart des patients sont disposés à partager leurs données et perçoivent même le partage de leurs données médicales comme un moyen important pour faire progresser les programmes de recherche. Par conséquent, la mise en place d’un consentement tel que celui développé par le MI-I en Allemagne dans la pratique clinique (ref1), combiné à un système entièrement numérique et une gestion dynamique du consentement, auront un impact positif significatif sur la faisabilité des projets cliniques. L’harmonisation au niveau européen des activités de régulation sont guidés par Le « Data Governance Act » et le « Data Act ». Cette stratégie vise à développer un marché unique des données en soutenant un accès, un partage et une réutilisation responsables, tout en respectant la protection des données personnelles. La mise en place de cette harmonisation comblera les différences importantes entre les pays européens dans l’application du règlement du RGPD.
3 Mieux définir les bonnes pratiques permettant d’utiliser des données de santé en vie réelle à des fins d’accès
L’accent de la HAS devrait être mis sur les méthodes d’évaluation des études en vie réelle. Des approches innovantes permettant de mieux définir et évaluer des données pertinentes sur l’exposition au traitement et les co-variables sont nécessaires pour répondre aux questions d’accès au marché.
En conclusion, la réutilisation des données de vie réelle permettant d’accélérer la recherche clinique et d’optimiser l’accès au marché des innovations médicales n’est pas irréalisable. Cependant, la situation actuelle pose des défis tant sur le plan opérationnel que règlementaire. Il existe de nombreux exemples dans l’évaluation du bénéfice risque montrant que l’analyse combinée de données observationnelles avec celles des essais cliniques randomisés permettent d’étudier des hypothèses supplémentaires et de réduire l’incertitude des résultats. Ces analyses ont permis l’approbation par l’EMA de plusieurs dossiers d’enregistrement. La mise en œuvre d’analyses similaires facilitant la mesure comparative de la valeur ajoutée et la réduction de l’incertitude issue du dossier d’accès au marché en France ne sera possible que si un accès simplifié et harmonisé au niveau européen des données observationnelles est mis en place. Sans cela, il est difficile à ce stade d’envisager une amélioration significative et rapide de l’accès aux innovations en France et une réduction des disparités grandissantes observées avec d’autres pays européens.
Bernard Hamelin, Véronique Ameye