Cluster dans l’Industrie Pharmaceutique : d’abord penser valeur et innovation
Nous avons abordé lors d’une précédente réflexion l’organisation générale de l’industrie pharmaceutique (IP) (Organisation produit ou fonction centrée, l’éternel débat encore relancé ») et nous avons pu voir encore récemment l’évolution de grands groupes vers une organisation par fonction, organisation que l’on pensait dépassée.
Au cours de différentes rencontres, nous avons été surpris du nombre de fois où la notion de cluster était évoquée, de la diversité des définitions données à ce mot et de la diversité des unités pouvant la composer. De manière générale, un cluster intégrait les caractéristiques suivantes : regroupement de différents pays sous un comité exécutif unique dont l’objectif essentiel était la réduction des coûts. Les pays constituant un cluster pouvaient obéir à une logique culturelle (les pays nordiques), une logique de taille (un grand pays et des « satellites ») ou une combinaison des 2.
Un cluster ne doit pas seulement être source d’économie, il doit délivrer valeur et innovation
Cette approche cluster s’écarte beaucoup de la définition telle que donnée par Porter et d’autres et, surtout, de sa finalité qui ne doit pas se limiter à la réalisation d’économies mais doit garder pour ambition la création de valeur en s’appuyant sur l’innovation.
Pour engendrer de la valeur, un cluster doit normalement remplir deux conditions : une condition « géographique » et une condition « relationnelle ».
La condition géographique c’est la concentration d’unités de même vocation et qui vont interagir avec un monde extérieur cohérent composé de clients, de fournisseurs, de prestataires et d’institutions. Cette condition géographique n’est pas toujours synonyme de concentration géographique : elle est définie par la comparabilité du contenu de l’interaction entre les unités du cluster et le monde extérieur.
La condition relationnelle c’est, grâce à une définition optimale des relations entre les unités du cluster, permettre un meilleur apprentissage, une meilleure compétitivité de chacune de ces unités et donc, in fine une création de valeur plus importante.
Le cluster qui crée de la valeur est celui qui est constitué d’unités capables de tirer richesse de leur relation pour mieux interagir avec un environnement commun.
Si nous voulons transposer ces conditions au monde de l’IP, il nous faut définir un cadre géographique et les règles de fonctionnement inter-unités.
Ce qui crée de la valeur au sein des unités d’un cluster peut se résumer ainsi : développer, assurer l’accès et assurer la commercialisation d’un produit (recherche et production sont éminemment créatrices de valeur, mais ces tâches sont rarement représentées au sein de ces unités). Il nous faut donc définir un cadre géographique et des règles de fonctionnement inter-unités qui permettent à chaque unité de délivrer une valeur optimale pour chacun de ces 3 aspects.
Les institutions déterminent le cadre géographique
Ni la taille ni la culture ne définissent le cadre géographique d’un cluster : ce sont les institutions, terme pris au sens large, qui conditionnent le cadre géographique des interactions de même contenu.
Développer, permettre l’accès, commercialiser font appel à des process et des intervenants différents. Ces process et ces intervenants sont
– globaux pour l’étape développement, qui a pu bénéficier d’une harmonisation mondiale ; – au minimum régionaux pour la commercialisation : on peut penser que la réflexion médicale de prise en charge est comparable en Europe mais diffère de celle qui prévaut par exemple en Asie.
– essentiellement locaux pour l’accès avec des process d’évaluation et de valorisation clairement distincts d’un pays à l’autre.
Un cluster dans l’IP aura des difficultés à être totalement innovant tant qu’une dimension sur 3 de ce qui fait la valeur de chaque unité a vocation à rester locale. En Europe, les clusters existants sont trop rarement conditionnés par les institutions qui les environnent et ceux répondant à cette condition sont de taille ou d’importance limitées. La situation pourrait radicalement se modifier dès lors qu’une harmonisation des règles d’accès en Europe sera suffisamment avancée dans ses principes conduisant à la voie, non pas d’une région Europe, mais d’un cluster Europe.
Le choix des priorités et le choix des talents au service du cluster et non des unités qui le composent permettent une meilleure compétitivité de chacune de ces unités.
L’optimisation des relations entre les unités d’un cluster doit permettre une meilleure compétitivité de chacune. Si on associe compétitivité à choix des priorités et choix des talents, il s’agit alors de mettre à la disposition des unités du cluster les meilleurs talents pour chacune des priorités et chacune des activités délivrant de la valeur. Le choix des talents doit être indiscutable et doit se faire de manière transversale à travers le cluster. Cette politique de sélection des talents allant au-delà de l’appartenance à une unité d’un cluster est la meilleure façon d’attirer des talents et de leur offrir rapidement une expérience qui dépasse leur simple géographie. Le cluster doit permettre attraction des talents et mise à disposition de ces talents pour chaque partie le constituant.
Au final, dans un cluster idéal, chaque activité créant de la valeur est en interaction avec un interlocuteur de même nature. Il devient alors relativement simple de mettre en face de cet interlocuteur le talent sélectionné et ainsi construire l’organisation du cluster.
Pour l’activité « accès » qui conserve une dimension locale prépondérante, l’acquisition d’un talent unique reste insuffisante. Tant que cette hétérogénéité entre unités existera, une organisation par définition hybride devra être mise en place au niveau de l’unité pour l’accès et au niveau du cluster pour les autres fonctions/activités : cette contrainte ne constitue pas un obstacle à la mise en place d’une structure délivrant de la valeur additionnelle et de l’innovation.
Dépendant des priorités, l’organisation, naïve des unités qui la constitue, sera centrée ou non autour des produits : voir notre réflexion sur l’organisation générale de l’industrie pharmaceutique.
Robert Dahan et Edgard Bertrand, pour Euresis Partners